Dans la vague de commémorations qui a marqué le mois de mai 2011 [1] , le colloque du 10 mai 1981 tenu au Centre d’histoire de Sciences Po aura eu pour vocation de faire un travail d’histoire et non de mémoire. Comme le rappelait
Le 10 mai 1981 a ainsi été replacé dans un panorama plus large, celui des rapports entre le parti socialiste et le pouvoir, mais aussi, dans le contexte de la gauche française et celui des relations internationales de la fin des années 1970.
Plusieurs intervenants ont ainsi évoqué la question de la contextualisation du tournant que fut le 10 mai 1981.
Le contexte international est évoqué par Sabine Jansen. L’événement 10 mai 1981 tend en effet à éclipser dans les mémoires le contexte de tensions internationales de la « guerre fraîche » : 1979 voit l’invasion du Cambodge, la Révolution iranienne, l’invasion de l’Afghanistan ; 1980, le début des troubles en Pologne et
Gérard Grunberg ouvre sa communication sur l’idée d’une alternance réussie, legs du candidat socialiste à
Michel Rocard développe cette même idée de « l’alternance tranquille », la gauche étant devenue « gouvernemento-compatible ». Cette image n’est cependant pas celle de l’époque, qu’il évoque en tant que témoin ; les Français craignent en 1981 les effets sur l’économie de l’élection d’un candidat socialiste.
Ludivine Bantigny dans un exposé illustré de nombreuses caricatures de l’époque étudie le rapport du socialisme à la réforme et à la révolution en mai 1981. Elle rappelle que dès les années 1960, le parti socialiste est sorti du mythe révolutionnaire, puisqu’au terme de « révolution » il préfère celui de « rupture avec le capitalisme ». Les « 110 propositions » du parti socialiste n’évoquent ni révolution, ni rupture. En ce sens, mai 1981 efface l’opposition stérile entre révolution et réforme pour envisager une société alternative au capitalisme par la réforme, entérinant l’avènement d’une culture réformatrice, qui ne renonce pas à l’idée d’une société alternative au capitalisme. La symbolique du 10 mai 1981 s’inscrit dans le prolongement de la Révolution française, pour en faire une Révolution républicaine, par l’État. Si la victoire électorale effraie l’opinion publique (à l’image de la caricature de Plantu, le 12 mai 1981, dont le titre était : « Le président est socialiste,
Intervenant en tant que grand témoin, Lionel Jospin choisit, de même, d’insister sur les apports et les limites de ce tournant majeur. Après le 10 mai 1981, la gauche a clairement un nouveau rapport au pouvoir, puisqu’elle sort de l’opposition, et qu’elle accepte l’exercice du pouvoir. L’accommodement avec les institutions de la Ve République est noté par Lionel Jospin comme il l’avait été par Gérard Grunberg. L’événement marque, de plus, l’avènement d’une nécessaire union des gauches et souligne la nécessité d’un grand parti.
Lionel Jospin note néanmoins les limites de cette expérience, les socialistes n’ont pas rompu avec le capitalisme, puisque les nationalisations de 1981 ont mené aux privatisations de 1986.
Mai 1981 marque aussi un tournant dans la forme des campagnes électorales, selon Alec Hargreaves. À partir de cette date, en effet, les discours de campagne ne sont plus essentiellement, ni principalement sociaux, mais deviennent ethniques. La campagne de 1981 est la dernière campagne dans laquelle la question sociale constitue le facteur clivant. Si les premières années du septennat Mitterrand marquent indéniablement une forme d’ouverture vers les populations immigrées (régularisation de 132 000 sans-papiers, arrêt des expulsions, regroupement familial…), dès 1983 celle-ci s’achève. Le tournant de la rigueur a de plus alimenté l’idée d’une interchangeabilité de la gauche et de la droite : en 1989, 56 % des Français ne croient plus à ce clivage. Le thème de l’immigration devient un objet de campagne et en 1984, le Front national fait sa première percée dans ce qui constitue aussi un autre tournant de la vie politique française.
En termes de politique européenne, l’arrivée au pouvoir des socialistes n’est pas un atout pour la construction européenne, selon Sylvain Kahn. Malgré l’image de fondateur de la construction européenne accolée à Mitterrand, depuis la fin des années 1960, l’engagement européen des socialistes est devenu plus réticent – la construction européenne cessant d’être un but en elle-même. Les thèmes d’une Europe des marchands, du capital sont mobilisés dans les campagnes électorales. Les socialistes ont par la suite utilisé la Communauté économique européenne comme un accélérateur de politiques publiques, tout en conservant intacte leur méfiance.
Au terme de cette journée, l’étude du 10 mai 1981 révèle l’importance de l’événement en histoire politique. Tournant de la Ve République, il est aussi le moment de la réconciliation finale de la gauche française avec le pouvoir.
[1] On pense notamment au colloque organisé par l’Institut François Mitterrand et