Les Archives nationales ont conservé et mis à la disposition du public le fonds Jean Zay (1904-1944), qui (...)
Les Archives nationales ont conservé et mis à la disposition du public le fonds Jean Zay (1904-1944), qui permet d'enrichir notre compréhension de l'histoire politique et culturelle de la France du premier XXe siècle. Moitié juif, moitié protestant, Jean Zay était un homme de grande culture, un avocat et un très jeune député radical du Loiret, cheville ouvrière du Front populaire.
Cible de l'extrême droite à partir de 1934, il entra au gouvernement en janvier 1936. En juin de cette même année, Léon Blum le nomma ministre de l'Éducation nationale et des Beaux Arts, en faisant de lui le centre politique de la vie culturelle française. Arrêté en août 1940 par la police française à son arrivée au Maroc à bord du Massilia, il fut emprisonné et accusé de désertion le 4 octobre 1940, lors d'un procès hautement politique qui le condamna à la réclusion perpétuelle. Durant ses quarante-sept mois d'enfermement, Jean Zay rédigea des lettres, des nouvelles, des notes sur son travail de ministre, des réflexions sur la mémoire et sur sa solitude. En juin 1944, il fut remis entre les mains de la Milice qui l'assassina.
Jean Zay adorait la littérature, le théâtre, la musique, les sports. Ses goûts et ses passions s'ancraient dans une vie familiale épanouie. Ces documents uniques révèlent sa façon de travailler, son humanisme et éclairent l'histoire française des années 1930 et du début 1940.
Mots clés : Jean Zay, Orléans, Loiret, parti radical, histoire politique, histoire culturelle, Front populaire, Vichy, antisémitisme.
The National Archives have acquired and made public the papers of Jean-Zay (1904-1944), which form an important source for deepening our understanding of the political and cultural history of
A target of the extreme right from 1934, he joined the government in January 1936. In June of that year, Blum nominated him to be Minister of National Education and Fine Arts, thereby placing him in the centre of the politics of French cultural life. Arrested in August 1940 by the French police on his arrival in
Jean Zay loved literature, theatre, music and sports. His tastes and passions grew out of a strong family life. His unique papers reveal his mode of work, his humanism, and throw considerable light on the period of the 1930s and early 1940s in
Key words : Jean Zay, Orléans, Loiret, Radical party, political history, cultural history, Popular Front, the history of
Les Archives nationales ont été honorées d’accueillir les papiers de Jean Zay plus de soixante ans après son assassinat par des miliciens. Elles gardent déjà en dépôt les papiers de nombreux contemporains de Jean Zay, ainsi ceux de Léon Blum, Vincent Auriol, Georges Mandel ou Édouard Daladier, et elle vient de recevoir ceux de Jacques Chevalier et de Georges Bonnet qui éclaireront l’histoire de la première moitié du XXe siècle.
Il n’est pas question ici de retracer la vie de Jean Zay (6 août 1904-20 juin 1944). Juif par son père, protestant par sa mère, franc-maçon, orateur charismatique, homme de droit et d’une grande culture, député du Loiret, Jean Zay a su convaincre le parti radical d’entrer dans le programme du Front populaire.
Départ d'une colonie de vacances en présence de Jean Zay, ministre de l'Education nationale et des Beaux-Arts, Juillet 1937, Archives nationales, 667 AP 136, n° 175.
Ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts de juin 1936 à septembre 1939, il démissionna de son poste pour « partager le sort de cette jeunesse française pour laquelle j’ai travaillé de mon mieux au gouvernement [1] ». Jusqu’en mai 1940, il fit la guerre en qualité de sous-lieutenant, adjoint au colonel commandant le train de la IVe Armée. Le 19 juin 1940, avec l’accord du colonel Pointout, il quitta son unité pour aller à Bordeaux où les parlementaires étaient convoqués. Avec des parlementaires et des militaires convaincus de pouvoir constituer un gouvernement en Afrique du Nord, il s’embarqua sur le Massilia. Mais le 16 août 1940, il fut arrêté à Rabat par des gendarmes français. Après un simulacre de procès par le tribunal militaire permanent de Clermont-Ferrand, il fut condamné, le 4 octobre 1940, pour désertion en présence de l’ennemi, à la déportation pour une durée indéterminée. Durant ses mois de captivité, à Clermont-Ferrand, à Marseille, et surtout à Riom, il écrivit des lettres, des contes et des notes sur sa vie et son travail de ministre. Son œuvre la plus connue est ce que je pourrais appeler un testament, Souvenirs et solitude, si Jean Zay n’avait pas gardé jusqu’au bout la foi en l’avenir [2] . C’est à Riom que des miliciens vinrent le chercher le 20 juin 1944 pour l’assassiner dans un bois près de Cusset (Allier). Sa disparition fut tragique : victime d’un jugement inique, puis d’un assassinat ignoble, il a été recherché par ses proches des mois durant jusqu’à ce que des chasseurs trouvent par hasard sa dépouille en 1946. Identifié formellement en avril 1948, après l’arrestation de Charles Develle, son principal assassin, il put être enterré, le 15 mai 1948, à Orléans après avoir reçu un hommage solennel à
« Évoquer [Jean Zay], en dépit des pensées qui nous bouleversent en ce moment, ce sera, désormais et toujours, parler de choses légères et délicieuses, et proclamer, au-dessus du sort contraire, la pure souveraineté de l’intelligence [3] . »
Bien avant d’entrer aux Archives nationales, entre 2008 et 2010, les papiers de Jean Zay ont eu une histoire très vivante. D’abord et avant tout, Jean Zay et son épouse Madeleine, née Dreux (27 novembre 1905-19 septembre 1991), avaient la culture de l’écrit et de sa conservation. De plus, Jean Zay devait avoir conscience de participer à cette aventure extraordinaire du Front populaire et tenait à laisser des traces écrites de cette période inédite. Plus tard ses deux filles, Catherine Martin-Zay, née le 29 octobre 1936, et Hélène Mouchard-Zay, née le 27 août 1940, ont témoigné des mêmes qualités jusqu’au don qu’elles firent aux Archives nationales des papiers de leurs parents. Fils d’un journaliste remarquable, Léon Zay, et d’une institutrice,
Les différents appartements occupés par Jean Zay tant à Orléans qu’à Paris, ainsi que les années de guerre auraient dû porter atteinte à la préservation de ces papiers. Mais dès l’été 1939, avant de quitter le ministère, Jean Zay mit à l’abri les œuvres d’art qu’il avait acquises dans des châteaux du sud de
Dans l’histoire des papiers de Jean Zay, il est remarquable de noter l’activité inlassable de son épouse, de sa sœur Jacqueline et de ses amis, qui, en lui rendant constamment visite dans sa prison de Riom, prirent le risque de faire sortir de sa cellule des documents importants. C’est ainsi que non seulement une des nouvelles, La Bague sans doigt, qu’il écrivit pendant son emprisonnement fut publiée dès 1942, mais que des notes manuscrites très précieuses sur son activité au ministère de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts passèrent dans la clandestinité et furent même reproduites dans Les Cahiers de l’Organisation civile et militaire [6] . L’exemple le plus frappant tient au manuscrit de Souvenirs et solitude, que Madeleine parvenait, en sortant de la prison, à cacher, feuillets par feuillets, sous le landau de sa fille cadette Hélène : il put être remis à René Juillard, éditeur à Sequana, et publié dès 1946 [7] .
Enfin, dès sa disparition le 20 juin 1944, son épouse veilla scrupuleusement à la conservation de ses papiers pour assurer sa défense dans les différentes procédures judiciaires qu’elle engagea contre les héritiers de Philippe Henriot. Elle entreposa dans une armoire italienne appartenant aujourd’hui encore à la famille les papiers personnels et publics de Jean Zay. À noter qu’à cette époque, la distinction entre la vie privée et les fonctions publiques est extrêmement floue : il est fréquent, et même normal, qu’un ministre détienne chez lui des dossiers importants qu’il juge nécessaires de garder par-devers lui. À la mort de Madeleine en 1991, sa fille aînée Catherine entreposa ce trésor familial dans une chambre à l’étage de la maison ancestrale. J’ai eu la chance de pénétrer dans cet espace qui attestait la ferveur indéfectible d’une fille pour ses parents.
Pour terminer l’histoire de ces papiers, j’ajouterai deux éléments : une découverte fortuite, et les aléas des histoires familiales. En 1992, peu après la disparition de sa mère, Catherine Martin-Zay découvrit dans un des garages de la maison laissé vacant par le départ des derniers locataires, des liasses posées à même le sol, recouvertes de papier journal et pleines de documents remontant pour l’essentiel au Front populaire. Ces liasses, jamais ouvertes par quiconque depuis 1944, nécessitèrent des mesures de désinfection réalisées par les Archives nationales : le don des papiers de Jean Zay par ses deux héritières commença ainsi, dans l’urgence de leur préservation. Le second élément est plus délicat à évoquer de façon objective. J’ai dû faire une dizaine de déplacements à Orléans avant que l’ensemble du fonds Jean Zay n’entre aux Archives nationales. Les premières fois, ces visites tenaient plus du pèlerinage que de l’inspection d’archives. C’est ainsi que les papiers les plus intimes, la correspondance de Jean et de Madeleine, comme les photographies où inévitablement se conjuguent la sphère privée et l’espace public, ne m’étaient pas présentés. Non seulement j’en comprenais très bien les raisons, mais j’aurais été gênée de les parcourir en présence des filles de Jean Zay. Ce n’est qu’à l’extrême fin d’un travail commun, mêlant des compétences archivistiques et la mémoire familiale, qu’à ma grande surprise les filles de Jean Zay m’ouvrirent leurs boîtes les plus précieuses et décidèrent de les confier aux Archives nationales. Certes elles étaient essentiellement motivées par la mémoire de leur père et son histoire encore trop peu connue. Mais j’ai senti aussi chez elles le courage de s’en dessaisir au profit du patrimoine national pour éviter de couper en deux des traces exceptionnelles. Je ne saurais assez leur témoigner de ma gratitude pour la confiance qu’elles ont accordée aux Archives nationales. Ce don précieux était assorti de légitimes conditions : d’abord classer, inventorier et ouvrir au public dès l’année 2010 les papiers de leur père, ce qui fut fait par la publication en mai 2010 de l’inventaire et la tenue, le 8 juin 2010, d’une journée d’études réunissant hommes politiques, historiens et archivistes [8] . Ensuite, et l’opération est en cours, de numériser les photographies, la correspondance de leurs parents ainsi que les papiers de la guerre [9] . Pour toutes les raisons décrites ci-dessus, l’histoire des papiers de Jean Zay est bien une histoire vivante.
Les papiers de Jean Zay constituent un ensemble remarquable de documents qui permettent d’aborder la personnalité et la carrière de Jean Zay sous de multiples facettes. Ils sont emblématiques de ce que l’on attend d’un fonds d’une personnalité de son envergure : les différents jalons de sa vie, de la naissance à sa disparition, en passant par son enfance et son milieu familial, sa formation à l’école, au lycée d’Orléans puis à la faculté de droit, son métier d’avocat, sa carrière de journaliste et d’homme politique au sein du parti radical, ses fonctions gouvernementales, son rôle dans la drôle de guerre, son internement d’août 1940 à juin 1944, sa disparition et enfin sa mémoire sont présents et retracés dans tous les supports archivistiques possible, écrits, figurés et audio-visuels. Au total, 150 cartons d’archives représentant 23 mètres linéaires de documents. À travers le prisme de Jean Zay, les années 1930 comme les années sombres sont éclairées de façon exceptionnelle.
Le classement des papiers de Jean Zay reprend le classement-type des fonds d’archives privées. En tête ont été placés les documents strictement personnels (sur l’enfance de Jean Zay, et ses liens épistolaires avec sa famille). Puis six parties chronologiques déroulent la carrière et la vie de Jean Zay, depuis sa profession d’avocat jusqu’à sa disparition le 20 juin 1944. Une partie thématique recouvre la période de juin 1944 à aujourd’hui, soit des enquêtes et procédures judiciaires liées à l’assassinat de Jean Zay jusqu’à la mémoire et le début de l’écriture de Jean Zay par ses premiers historiens. Enfin, pour des raisons spécifiques de conservation, trois parties typologiques rassemblent les photographies, les documents audio-visuels (négatifs, disques, films et cassettes vidéo), et les documents de grand format (revues, dessins et affiches).
L’originalité de la première partie (papiers personnels, 667 AP 1 à 12) tient à la correspondance croisée entre Jean Zay et Madeleine Dreux, qui commence dès 1923, se poursuivra au-delà de leur mariage en mars 1931, et sera particulièrement intense pendant la mobilisation de Jean Zay, de septembre 1939 à juin 1940, et surtout pendant sa captivité d’août 1940 à son assassinat le 20 juin 1944. Sa dernière lettre à son épouse, écrite le 19 juin 1944, alors qu’il vient d’apprendre son transfert de la maison d’arrêt de Riom à la maison centrale de Melun, est souvent reproduite :
« Voici la dernière étape, celle qui sera brève et au bout de laquelle nous nous retrouverons unis et tranquilles dans notre bonheur, avec nos filles. Elle était inévitable… Je pars plein de bonne humeur et de force. Je n’ai jamais été si sûr de mon destin et de ma route… ».
Mais cette lettre n’est qu’un exemple parmi des milliers de courriers échangés. Pour Madeleine, la correspondance est essentiellement l’expression de liens affectueux et familiaux. Jean Zay utilise en revanche des registres différents, alliant l’histoire familiale à celle de
« Mon tout petit amour bien aimé, cette nuit, j’ai fait connaissance avec “mon nouveau front”, en allant surveiller l’exécution d’un transport de munitions, à proximité des Boches… Te souviens-tu, mon petit pouillot, qu’il y a un an nous étions à New York. Nous regardions de la fenêtre de l’Astoria les gratte-ciel[s] illuminés ; et ce soir je traverse des villages déserts de la Champagne… Mais ne te tourmente pas. »
La deuxième partie concerne la carrière d’avocat menée par Jean Zay de 1928 à 1936 (667 AP 13 à 21). Elle comprend 288 dossiers d’affaires. Au-delà de ses notes de plaidoirie qui attestent son talent oratoire et son sens de la synthèse, ces papiers illustrent le quotidien de gens en difficulté et la fougue avec laquelle Jean Zay les défend avec la conviction de soutenir des causes justes. Je pense que l’étude systématique de ces documents, ainsi que de ses dossiers d’interventions classés dans la troisième partie consacrée à son travail de député (667 AP 22 à 47), permettrait d’entrevoir déjà les prémices du Front populaire qui donna enfin la parole aux ouvriers, aux artisans et aux syndicats soutenus sans relâche par Jean Zay dès 1928. Ces papiers sont en effet comme un kaléidoscope de vies des années 1930, sur fond de chômage et d’anciens combattants, mais aussi un bouillon d’énergie et d’aspirations culturelles.
Les quatrième et cinquième parties recouvrent les fonctions gouvernementales de Jean Zay, sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil (667 AP 48 à 55), puis ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts (667 AP 56 à 114). C’est sans doute les parties les plus défaillantes du fonds. Certes on y trouve des correspondances précieuses adressées à Jean Zay par des écrivains, des artistes, des hommes de théâtre, de cinéma ou de l’opéra. Néanmoins les dossiers sur la réforme de l’enseignement traités par Jean Zay ne sont pas là, mais dans le fonds de son directeur de cabinet, Marcel Abraham. Plus surprenant encore est l’absence de papiers sur les grandes grèves de 1936, ou encore le silence des documents sur le contexte international et la montée des périls fascistes.
La sixième partie illustre la vie de Jean Zay mobilisé comme sous-lieutenant à l’état-major du Train de la IVe armée (667 AP 115 à 117). Ce court ensemble est à compléter par les correspondances citées plus haut et datées de la drôle de guerre. Il contient également des dossiers attestant que Jean Zay suit la situation politique tout en étant au front.
La septième partie consacrée à l’internement de Jean Zay à Clermont-Ferrand, à Marseille puis à Riom (667 AP 118 à 123) est certainement la partie la plus précieuse et la plus riche. Ces quatre années de captivité sont un temps de réflexion, de lecture, d’écriture et de solitude pour Jean Zay. Les diverses éditions de son œuvre principale Souvenirs et solitude ont permis au public de s’approcher de la personnalité et du courage hors du commun de Jean Zay, mais aussi de son épouse. Toutefois ses carnets sont encore méconnus malgré leur richesse exceptionnelle. Le 14 mars 1941, Jean Zay écrit :
« Le printemps commence à éclater. Dès 8 heures, ciel azuré et uni, soleil brillant sur la crête du mur, chants d’oiseaux. Autre genre de supplice : sensation qu’on vous a oublié,…le printemps est pour moi un bruit de coulisse. » Le lendemain, il poursuit : « Suis-je capable d’écrire ?... Étrange destinée : à 36 ans, [j’ai connu] une des c[î]mes du pouvoir et un des abîmes de la détresse. Étais-je fait pour cette destinée ou pour le calme et la vie ordinaire ? »
Carnet de Riom. Mars 1941. Archives nationales, 667 AP 120, dossier 1.
Plus loin, le 6 juin 1944, Jean Zay note pour son 1 391e jour de captivité :
« Débarquement de Cherbourg au Havre ; grande nervosité dans la maison ; chants ; surveillance accrue, etc. L’affût des nouvelles… La nuit, sommeil difficile. Mot de Mad[eleine] : Hélène a eu sa dernière piqûre ; Cathou est [en classe de] 4ème [11] . »
Comment mieux exprimer l’entrelacement des soucis familiaux et des angoisses de la guerre ?
La huitième partie (667 AP 124 à 129) va de la disparition de Jean Zay au début du XXIe siècle, en suivant les procédures judiciaires menées par Madeleine Zay pour la réhabilitation de son époux, les différents hommages qui lui seront rendus, ainsi que les correspondances des premiers historiens de Jean Zay.
Des trois dernières parties, c’est celle consacrée aux photographies familiales ou officielles (667 AP 134 à 142) qui est la plus intéressante. Celle qui représente Jean Zay entouré d’enfants partant pour leur première colonie de vacances symbolise cet été enchanté par le Front populaire. Les autres reflètent les différentes facettes de la vie et de la personnalité de Jean Zay : sa passion pour les fêtes foraines, les avions, les bateaux, les sports d’hiver, les vacances à la mer, le théâtre populaire, les banquets publics et les défilés dans les rues des villes du Loiret. Autant d’images qui devraient attirer les jeunes historiens.
Jean Zay est encore largement méconnu du public malgré les travaux de ses premiers historiens dès le début des années 1960. On pourrait d’ailleurs s’interroger sur cette méconnaissance, voire sur l’oubli qui recouvre son existence.
Avant leur entrée aux Archives nationales, ses papiers ont été consultés à Orléans, au domicile de Madeleine Zay, puis de Catherine Martin-Zay.
La première approche biographique de Jean Zay est celle de Marcel Ruby : La vie et l’œuvre de Jean Zay [12] est publiée en 1969 à la suite d’une thèse d’État soutenue deux ans auparavant. Ce travail est non seulement l’œuvre d’un pionnier, mais il est unique en son genre, car Marcel Ruby avait rassemblé les témoignages des contemporains de Jean Zay, comme Vincent Auriol, René Berthelot, ou Édouard Herriot, encore vivants vingt ans après sa disparition. De plus il avait été guidé par Madeleine Zay et Alfred Rosier, ancien chef de cabinet de Jean Zay et secrétaire de l’Association des amis de Jean Zay et de Marcel Abraham. Malheureusement Marcel Ruby n’a pas conservé les textes de ses entretiens qui seraient très précieux aujourd’hui.
Après Marcel Ruby, de nombreux historiens ont été accueillis par Madeleine Zay et ses filles. Pascal Ory [13] a concentré son travail sur le Front populaire, Olivier Loubes [14] et Pierre Girard [15] se sont approchés de la personne de Jean Zay. Cependant c’est Antoine Prost [16] qui a livré la meilleure synthèse de la vie et de l’œuvre de Jean Zay en préfaçant la réédition de Souvenirs et solitude.
La journée d’études consacrée à Jean Zay, le 8 juin 2010, à l’occasion de la publication de l’inventaire de ses papiers a lancé plusieurs pistes de recherche. Robert Paxton a présenté les carnets tenus par Jean Zay à Riom en encourageant les jeunes historiens à les étudier en profondeur : il y a en effet un travail de croisement à réaliser entre ces carnets, où Jean Zay multiplie les informations personnelles et familiales, et Souvenirs et solitude, qui est davantage une réflexion politique, et sans doute serait-il très éclairant de publier ces carnets avec un appareil critique. Julian Jackson [17] s’est intéressé aux lettres écrites par Jean Zay à son épouse durant la drôle de guerre : lui aussi invite les chercheurs à utiliser ces sources pour éclairer une guerre encore trop méconnue de l’intérieur.
Depuis l’ouverture au public des papiers de Jean Zay, plusieurs demandes d’autorisation ont été favorablement instruites. La plus importante émane d’une réalisatrice, Catherine Bernstein, secondée par
En conclusion, la remise des papiers de Jean Zay aux Archives nationales donne un élan nouveau à
Pour citer cet article :
[1] Lettre ouverte au président du Conseil, Édouard Daladier, 3 septembre 1939.
[2] Jean Zay, Souvenirs et solitude, introduction et notes d’Antoine Prost, témoignages de Jean Cassou, Léon Blum et Pierre Mendès France, Paris, Belin, 2010. Souvenirs et solitude a été publié pour la première fois en 1946 par les Éditions Julliard, puis en 1987 et 1994 (Éditions Talus d’approche), en 2004 (Éditions de l’Aube) et en 2010 (Belin).
[3] Discours prononcé par Jean Zay en l’honneur de Ravel, Archives nationales, 667 AP 60, dossier 3. Le fonds Jean Zay est conservé par la section des Archives privées des Archives nationales et coté 667 AP. Actuellement à Paris, il sera conservé au Centre des archives de Pierrefitte-sur-Seine, comme tous les fonds publics et privés contemporains, dès l’ouverture de ce centre au public, prévue au cours du premier semestre 2013. Attention : en raison du déménagement des archives à Pierrefitte-sur-Seine, la consultation des fonds sera, par roulement, suspendue pendant trois mois. Le calendrier du déménagement sera annoncé sur le site des Archives nationales dès le printemps 2012.
[4] Les papiers de Marcel Abraham, conservés par la section des Archives privées des Archives nationales dès 1958 et cotés 312 AP, sont étroitement complémentaires du fonds Jean Zay.
[5] Voir les dossiers du Commissariat général aux questions juives et du Service de restitution (Archives nationales, AJ 38 1306 et 6424) et les dossiers de la Commission de récupération artistique (Archives du ministère des Affaires étrangères, dossier 33592).
[6] Voir Benoît Verny, « Jean Zay et la Résistance », Antoine Prost (dir.), Jean Zay et la gauche du radicalisme, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 209-224.
[7] Voir Archives nationales, Papiers Jean Zay, 667 AP 121.
[8]
[9] Actuellement les 1 200 photographies et les trois carnets écrits à Riom sont numérisés.
[10] La consultation et la reproduction de ce fonds d’archives sont soumises à l’autorisation des deux filles de Jean Zay. La procédure de demande est simple et rapide : le chercheur remplit un formulaire de demande d’autorisation, qu’il trouve en salle de lecture des Archives nationales ou sur le site internet des Archives nationales, et l’adresse à la section des Archives privées. Celle-ci le transmet aux ayants droit puis communiquera leur réponse au chercheur. Cette procédure n’excède pas six semaines. En cas de demande de reproduction, le chercheur doit préciser s’il souhaite faire des reproductions pour son usage personnel (reproduction à titre privé) ou en vue d’une publication ou d’une diffusion. Enfin, les opérations de numérisation demandées par les filles de Jean Zay sont en cours de réalisation : elles peuvent momentanément interrompre la consultation des documents. C’est le cas, au moment où cet article est rédigé, de l’ensemble des photographies.
[11] Voir 667 AP 120, dossier 1.
[12] Marcel Ruby, La vie et l’œuvre de Jean Zay, Paris, Impr. Beresniak, Marcel Ruby éd., 1969.
[13]
[14] Olivier Loubes, « Jean Zay, une résistance déplacée ? Parcours de reconnaissance 1940-199… », colloque de Toulouse, « La Résistance et les Français, histoire et mémoire », décembre 1993. Olivier Loubes, « Jean Zay, une résistance déplacée », dans Jean-Marie Guillon et
[15]
[16] Voir ci-dessus note 2.
[17] Julian Jackson, The Popular Front in
[18] Avant-première le 7 décembre 2011.
[19] Pour les sources complémentaires, voir
[20] Lors de la journée d’études, Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret et ancien maire d’Orléans, a présenté l’intérêt de ces dossiers.
[21] Jean Zay, Souvenirs et solitude, op. cit., témoignage de Léon Blum, p. 521.
[22] Idem, témoignage de Jean Cassou, p. 518.
Caroline Piketty est conservateur en chef du patrimoine à la section des Archives privées des Archives nationales.