Depuis sa création en 1988, l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine constitue un lieu unique pour la recherche historique. À (...)
Mots clefs : Archives, IMEC, sciences humaines et sociales, histoire culturelle, histoire intellectuelle.
Founded in 1988, located at the Abbaye d’Ardenne in Normandy, the Institut Mémoires de l’édition contemporaine is a well-known institution for historical research which holds papers and archive collections of publishers, authors, institutions and associations. This paper retraces the story of this young Institute: and gives an overview of the main topics the collections cover, that is, history of publishers, books and reviews, study of historical moments, intellectual places and, at least, important people in the 20th Century French and European intellectual, political and cultural life.
Key words : Archives, Imec, Twentieth Century France, Cultural studies, Intellectual History.
Un soir du mois de juin dernier, près de Caen, à l’abbaye d’Ardenne, un historien célèbre donne une conférence sur la guerre d’Algérie. Le public est venu nombreux, mû par des motivations diverses : professeurs, étudiants, amateurs d’histoire, anciens appelés, militants associatifs. L’attention est vive et, comme souvent dans cette région marquée par la guerre, l’écoute est particulièrement intense. Au moment du débarquement de juin 1944, l’abbaye fut le lieu d’une terrible bataille. Le site fondé au XIIe siècle par les Prémontrés fut ravagé. L’abbatiale s’effondra quelques années après, à la suite des bombardements. L’édifice qui s’élève aujourd’hui a été entièrement restauré et reconstruit pour y installer la bibliothèque de l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (IMEC). Lieu de mémoire, l’abbaye d’Ardenne devenait ainsi un lieu pour chercher, créer, écrire et – ce qui nous retiendra particulièrement ici – faire de l’histoire.
L’Institut mémoires de l’édition contemporaine a été fondé il y a vingt-quatre ans, en septembre 1988 par l’actuel directeur Olivier Corpet, homme de revue et sociologue, en compagnie d’un littéraire, Jean-Pierre Dauphin, et d’un historien, Pascal Fouché. À l’origine, il s’agit d’un alliage entre la Bibliothèque de littérature française contemporaine créée en avril 1977 et de l’association Ent’revues fondée en février 1986. L’objet de l’Institut est d’abord de « reconstituer, développer et mettre en valeur le patrimoine des maisons d’édition et des revues de l’époque contemporaine ». Le premier conseil d’administration a lieu dans les locaux du Centre national du Livre (CNL). Il rassemble des personnalités comme Jean Gattégno, alors directeur du Livre et de la Lecture au ministère de la Culture, Véronique Chatenay-Dolto alors au CNL, les éditeurs Christian Bourgois,
Au départ, les locaux de l’IMEC se trouvent au 54, boulevard Raspail, dans un bureau de la Maison des sciences de l’homme. L’inauguration officielle a lieu le 20 octobre 1989 dans le cadre de « La fureur de lire ». Très vite, l’Institut se développe et connaît un succès indéniable. Aux archives d’éditeurs et de revues, viennent s’adjoindre les fonds d’auteurs – archives privées. Les écrivains posent leur marque et apportent leur aura. Avec les archives de Jean Genet, Louis-Ferdinand Céline, Michel Deguy, Marguerite Duras, Irène Némirovsky, Alain Robbe-Grillet ou Kateb Yacine, l’IMEC se positionne rapidement comme une importante institution d’archives littéraires. Cependant, les sciences humaines et sociales sont présentes dès le début de l’aventure. L’un des tout premiers fonds confiés est celui d’Henri Berr, ami de Lucien Febvre et de Marc Bloch, fondateur de La Revue de synthèse et de la collection « L’évolution de l’humanité ». L’un des moments forts des premières années de l’IMEC provient d’ailleurs d’un fonds de Sciences humaines, celui de Louis Althusser. C’est en effet Olivier Corpet qui découvre dans les papiers laissés par Louis Althusser après sa mort le manuscrit de L’Avenir dure longtemps, l’autobiographie du professeur de l’ENS. Au cœur de ce que
Quelques mois après sa création, l’IMEC manquait déjà de place. Inconvénient du succès : l’institut parisien déménageait régulièrement. En avril 1989, la petite équipe s’installe rue de Lille dans un local pouvant accueillir 1 000 mètres linéaires. Moins de deux ans plus tard, en décembre 1990, les locaux sont saturés. Les besoins en capacité de conservation correspondent à plus de 6 000 mètres linéaires. Comme la plupart des instituts d’archives, le nouveau venu doit louer un lieu de réserve dans la banlieue parisienne, à Melun, pour résoudre son problème de saturation. Solution temporaire. Les bureaux de l’IMEC sont installés rue Bleue, dans le IXe arrondissement. Les archives affluent, la réputation de l’IMEC ne cesse de croître, la question de la place et du stockage devient urgente.
L’année 1995 marque un tournant. Christian Bourgois devient président de l’IMEC. Il succède à
Naturellement, il est impossible ici de présenter de façon complète les fonds présents à l’IMEC – y compris en se cantonnant au domaine des sciences humaines et sociales. Les collections de l’IMEC se répartissent en quatre grands ensembles : fonds d’auteurs, d’éditeurs et métiers du livre, d’institutions et d’associations, de revues et de presse enfin [3] . Nous pointerons simplement les grands axes de recherche ainsi que les fonds d’archives qui ont fourni, fournissent ou fourniront bientôt des sources pour les historiens.
Fondé en premier lieu pour sauvegarder la mémoire du patrimoine des maisons d’édition, l’IMEC rassemble plus de quatre-vingt fonds d’éditeurs et constitue donc une mine pour faire l’histoire des maisons d’édition, des éditeurs et des métiers du livre. De nombreuses recherches ont ainsi pu être menées à bien, nourrissant le grand mouvement de défrichage, de constitution de corpus, d’analyse et d’interprétation. L’histoire de l’édition s’affirme au cours des années 1990 et poursuit depuis son cheminement, comme en témoigne la récente parution du livre de Jean-Yves Mollier et de Bruno Dubot sur la Librairie Larousse [4] . Dès sa fondation, l’IMEC agit comme un catalyseur et un accélérateur des recherches sur le domaine. En 1991, paraissait le premier numéro d’un Bulletin international d'information sur l'histoire du livre et de l'édition, publié à l’initiative du Réseau international sur l'histoire du livre et de l'édition dont l’IMEC était partie prenante [5] . Parallèlement, un séminaire sur l’« histoire de l’édition contemporaine » est co-organisé avec l’École des hautes études en sciences sociales. Preuve de la fécondité de ce nouveau champ d’étude, en vingt ans paraît une série d’études monographiques consacrées à des maisons d’édition. Elles sont souvent issues de thèses et, parfois, publiées par l’IMEC lui-même. C’est par exemple le cas pour Flammarion, Minuit, Le Sagittaire, Le Seuil [6] … Récemment, l’IMEC a recueilli huit entretiens avec de grandes figures de l’édition française témoignant sur leur parcours et la vision de leur métier [7] . Dès le début, se manifeste le souci de vulgarisation de la recherche scientifique. Il s’agit de sensibiliser le grand public cultivé à l’intérêt du patrimoine éditorial. Évidente aujourd’hui, la valeur de la chose imprimée contemporaine l’était beaucoup moins il y a trente ans. Les expositions constituent alors le moyen le plus efficace de ce travail de diffusion et de sensibilisation. Ces manifestations accompagnées d’un catalogue permettent souvent de faire le point de la recherche et marquent un moment important. Dans différentes villes et à différentes échelles, occasion fut donnée de montrer au public, en les remettant dans leur contexte, les archives des éditions Au Sans pareil, Bourgois, Mame, Privat, Le Seuil ou les Trois collines. Des expositions plus thématiques rassemblent aussi des éléments intéressant des catégories professionnelles variées, à l’image de la récente exposition « Éditeurs, Les lois du métier » qui explore les relations entre le monde de l’édition, les normes sociales et la sphère juridique [8] . Les archives des maisons d’édition constituent ainsi des sources pour la recherche savante et pour la vie intellectuelle contemporaine.
Au-delà des maisons d’édition, l’IMEC interroge plus largement les métiers du livre en s’intéressant aussi aux typographes, à la librairie, à l’histoire et aux pratiques de
Les collections de l’IMEC constituent enfin une source importante, pour ne pas dire majeure, pour l’histoire des revues. On a vu l’importance, à l’origine, de l’association Ent’revues et de La Revue des revues dont l’objectif est de suivre l’actualité de la recherche et de la création de cet écosystème spécifique de la vie éditoriale et intellectuelle. Concrètement, pour le chercheur et le lecteur, cela se marque de deux façons. Les archives que les revues ont confié à l’IMEC d’une part. On en dénombre environ vingt-cinq, parmi lesquelles Confluences, Critique, Esprit, Fontaine, La Revue des deux mondes, La Revue de synthèse, Socialisme ou barbarie, Tel Quel, Vingtième Siècle [11] . C’est dans les fonds Esprit, Emmanuel Mounier, et des éditions du Seuil que Goulven Boudic a puisé les matériaux nécessaires à sa thèse consacrée au destin de la revue personnaliste de 1944 à 1982 [12] . D’autre part, l’abbaye d’Ardenne conserve une immense bibliothèque de revues dont une partie est directement en accès libre dans la salle de lecture – du fanzine poétique à la revue sur papier glacé, des grandes revues centenaires aux modestes et brèves aventures [13] . Récemment, l’IMEC a reçu
Dans le processus de « poldérisation » qu’opère, pour reprendre les termes de
Parmi les types de sources permettant à l’historien une étude transversale et problématisée du passé, les archives d’associations et d’institutions sont particulièrement riches en information. À l’IMEC se trouvent un certain nombre de fonds d’associations et d’institutions, comme le PEN club, le Parlement des écrivains, le Collège de France ou le Collège international de philosophie. Le fonds du Centre culturel de Cerisy-la-Salle conserve les traces des célèbres décades depuis 1947 et constitue une source fréquemment consultée [17] . D’autres associations comme le Groupe d’information sur les prisons (GIP) ou l’association Sida-mémoires, correspondent à des interrogations politiques et sociales. Le travail de Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel sur le GIP apportent de précieux matériaux à la compréhension des engagements des années 1970, ceux des intellectuels comme Michel Foucault ou Pierre Vidal-Naquet ou encore ceux de détenus, de juristes et de militants [18] . Albert Dichy avait d’ailleurs dirigé un séminaire sur le sujet en 1999 à l’IMEC. Une autre association, bien différente, et dont l’ensemble est en traitement, offrira bientôt de nouvelles sources pour l’histoire des intellectuels catholiques. Fréquenté par François Mauriac, Jacques Maritain ou René Rémond, le Centre catholique des intellectuels français est un lieu de sociabilités intellectuelles encore méconnu malgré le travail de Claire Toupin-Guyot [19] .
La différence de rythme entre la rapidité du développement de l’IMEC et la temporalité propre aux archives peut paraître vertigineuse. Le temps que nécessite le traitement, le conditionnement et la description des archives s’oppose parfois au féroce appétit d’archives de la recherche actuelle. L’époque de l’historien fondant une thèse sur une dizaine de cartons et une vingtaine de livres semble révolue. Aujourd’hui, sous réserve d’obtenir l’accord des ayants droit, on veut tout voir, tout avoir sous les yeux. Manuscrit et quittance de loyer, lettres d’amour et cartes postales, journal intime et coupure de presse, photographies et agendas. Extension du domaine de l’archive, ère de
Dans les années prochaines, avec les fonds de Cornelius Castoriadis, André Gorz, Edgar Morin ou d’Alain Touraine, émergeront de nouvelles sources pour l’histoire politique des intellectuels, et pour l’histoire des sociologues. Il faudrait aussi évoquer l’histoire de la pensée économique, celle du journalisme avec les fonds Giroud, Joffroy et Pozner, celle des graphistes et des illustrateurs, celle des galeristes et des institutions culturelles. Depuis plusieurs années, le Centre de recherches en histoire quantitative de l’université de Caen tient régulièrement à l’abbaye d’Ardenne un séminaire sur les sources en histoire culturelle. Il se propose de « faire découvrir aux étudiants en thèse ou en master la richesse de fonds ou de types d’archives parfois peu exploités par les historiens [22] ». Les pistes pour l’avenir sont donc innombrables. Si l’on peut voir les tendances qui se dessinent, la décision et l’initiative proviendront toujours des chercheurs car ce sont eux qui, avec les déposants, imaginent et inventent le mouvement et le dynamisme de ce jeune institut. Lieu d’archive, centre culturel de rencontre, lieu de conservation et de création, l’IMEC est donc un pari résolu sur « l’avenir de l’histoire ».
Pour citer cet article :
[1]
[2] Voir Olivier Corpet, L’Épanouissement posthume, Paris, Le Seuil, « Librairie du XXIe siècle », à paraître.
[3] . Le site internet de l’IMEC offre une vision d’ensemble des fonds conservés tout en fournissant nombre d’éléments historiques, archivistiques, éditoriaux – ainsi que les manifestations culturelles. Voir http://www.imec-archives.com/ [lien consulté le 2 octobre 2012]
[4] . Jean-Yves Mollier et Bruno Dubot, Histoire de
[5] Ce bulletin est publié par la Maison des sciences de l’homme (Paris), le Max Planck Institut für Geschichte (Göttingen) et l’IMEC. Voir In-Octavo, n° 0, juin 1991.
[6] Élisabeth Parinet,
[7] Olivier Le Naire, Profession éditeur. Huit grandes figures de l’édition contemporaine racontent, Paris, IMEC éditeur/CNL/SNE, 2011.
[8] Voir l’exposition virtuelle à l’adresse http://editeurslesloisdumetier.bpi.fr/bpi_loi-edition/fr/index.html. Co-produite par la Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou (Bpi), la Bibliothèque francophone multimédia (Bfm) de la Ville de Limoges et l’IMEC, cette exposition s’est tenue du 9 novembre 2011 au 9 janvier 2012. Elle a donné lieu à des journées d’études à la BPI et à l’abbaye d’Ardenne.
[9] Voir les notices sur le site de l’IMEC http://www.imec-archives.com/fonds_archives_liste.php?ty=ED [lien consulté le 2 octobre 2012].
[10] Le prix du livre.
[11] Pour l’ensemble des fonds de revues, voir http://www.imec-archives.com/fonds_archives_liste.php?ty=RE [lien consulté le 2 octobre 2012].
[12] Goulven Boudic, Esprit, les métamorphoses d’une revue, 1944-1982, Paris, IMEC éditeur, 2005. Les archives ont aussi donné lieu à des travaux transversaux sur Les revues d’art (Yves Chèvrefils Desbiolles, 1993) ou la Belle Époque (Jacqueline Pluet-Despatin,
[13] Voir l’ensemble de la bibliothèque des revues http://www.imec-archives.com/fonds_revues_liste.php [lien consulté le 2 octobre 2012].
[14] . Robert O. Paxton, Olivier Corpet, Claire Paulhan, Archives de la vie littéraire sous l'Occupation : à travers le désastre, Paris, Tallandier/IMEC éditeur, 2011.
[15] Colloque organisé en mars 2008 sous la responsabilité d’Agnès Callu et Patrick Éveno en partenariat avec le Centre de recherche d’histoire quantitative et l’Unité de recherche « Institutions et dynamiques historiques de l’Économie » de l’université de Caen Basse-Normandie.
[16] Catherine Brun et Olivier Penot-Lacassagne, Engagements et déchirements. Les intellectuels et la guerre d’Algérie, Paris, Gallimard/IMEC éditeur, 2012.
[17] Voir S.I.E.C.L.E, Colloque de Cerisy : 100 ans de rencontres intellectuelles de Pontigny à Cerisy : actes du colloque de Cerisy, Paris, IMEC éditeur, « Inventaires », 2005.
[18] Voir l’inventaire en ligne http://www.imec-archives.com/fonds_archives_fiche.php?i=GIP [lien consulté le 2 octobre 2012], ainsi que Philippe Artières, Laurent Quéro et Michelle Zancarini-Fournel, Le Groupe d’information sur les prisons. Archives d’une lutte 1970-1972, postface de Daniel Defert, Paris, IMEC éditeur, « Pièces d’archives », 2003.
[19] Voir Claire Toupin-Guyot, Les intellectuels catholiques dans la société française. Le Centre catholique des intellectuels français, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2002.
[20] Serge Wolikow, « L’enquête sur les archives de la recherche en sciences humaines et sociales (ARSHS). Premier bilan », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 9, septembre-décembre 2009 [en ligne].
[21] Benoît Peeters, Derrida, Paris, Flammarion, 2010 et Trois ans avec Derrida, les Carnets d'un biographe, Paris, Flammarion, 2010.
[22] Voir http://www.crhq.cnrs.fr/_index.php?page=agenda/seminaires&suite [lien consulté le 2 octobre 2012].
Docteur en histoire contemporaine de l’Institut d’études politique de Paris,