Au cours des années conciliaires, l’évolution de la société néerlandaise vers la gauche est marquée par le développement d’une culture jeune et du flower power, mais aussi par des manifestations étudiantes et par un durcissement de l’action syndicale. Cette mutation se traduit dans l’Église catholique par l’apparition de communautés de base et de paroisses critiques. Les exemples analysés ici soulignent leurs préoccupations : modernisation de la liturgie mais aussi critique de la société et contestation du fonctionnement ecclésial – notamment du célibat ecclésiastique et des obstacles mis à l’intercommunion entre catholiques et protestants. Largement médiatisée, notamment à travers le groupe de prêtres contestataires Septuagint, l’expérience de la gauche catholique hollandaise a eu un grand écho international au tournant des années 1960 et 1970, avant de perdre sa base sociale et de décliner rapidement.
Une mutation décisive se produit dans le catholicisme belge entre 1945 et 1980. Dans les années cinquante, le conservatisme et l’anticommunisme dominent encore une Église solidement enracinée dans la société locale. À partir de 1958, une volonté de changement se manifeste et trouve une nouvelle justification dans l’aggiornamento promu par Vatican II. Mais les années postconciliaires sont marquées par l’évolution rapide d’un esprit optimiste et réformateur vers un sentiment de frustration nourrissant la crise et la contestation. Des mouvements de chrétiens de gauche s’organisent, en Flandre tout particulièrement, critiquant à la fois l’Église et la société. Ils connaissent leur apogée entre 1968 et 1974. La Flandre cesse bientôt d’être une société organisée autour du catholicisme pour devenir un espace pluraliste dans lequel la communauté catholique n’est plus qu’une minorité.
L’apparition de groupes de prêtres contestataires à la fin des années 1960 est un phénomène que l’on observe dans plusieurs pays européens. L’étude de la mobilisation des prêtres allemands, située ici dans son contexte social et ecclésial, témoigne de la profondeur du changement des mentalités dans le catholicisme d’outre-Rhin avant et après Vatican II. Elle montre aussi que le « tournant anthropocentrique » de la théologie de Karl Rahner et d’autres avancées théologiques ont fortement contribué à légitimer les projets de réforme radicale de l’Église. Aussi les changements réels mais limités opérés par le « synode allemand », entre 1971 et 1975, ont-ils permis de maintenir la cohérence du catholicisme allemand.
Le progressisme catholique espagnol, conciliaire et postconciliaire, montre certaines analogies mais surtout des différences avec ses homologues dans le reste de l’Europe. Le combat anti-franquiste et la déconstruction du national-catholicisme lui donnent en effet une configuration spécifique. L’approche à la fois chronologique et thématique proposée ici permet de penser ces analogies et cette singularité. Elle met surtout en évidence le fait que la déconnexion de l’Église catholique et du régime de Franco s’est opérée d’abord à la base – dans les mouvements d’Action catholique spécialisée et le jeune clergé –, puis au niveau de la hiérarchie épiscopale.
Cette étude entend montrer que l’alliance nationale entre l’Estado Novo et l’Église catholique a favorisé l’émergence et le développement du courant catholique qui, en 1958, a rompu brutalement avec la dictature salazariste et qui s’est senti justifié, ensuite, par le renouveau théologique lié au concile Vatican II. Ces « catholiques progressistes » n’ont pas été les seuls catholiques à s’opposer à l’Estado Novo, mais sans doute ont-ils été les plus visibles sur la scène politique portugaise. Ce sont eux qui ont pris les positions les plus radicales pendant la guerre coloniale, entre 1961 et 1974. Mai 68 et la théologie de la libération ont marqué cette gauche catholique portugaise, qui a pourtant gardé un caractère pluraliste. La crise postconciliaire s’est manifestée à la fois par le départ de figures marquantes de l’institution catholique portugaise, et par une double critique, radicale, du pouvoir ecclésiastique et du pouvoir politique.
L’année 68 dans l’Église romaine en Suisse ? À la gauche du Christ, l’anxiété de l’aggiornamento se transforme en une crise, se caractérisant par plusieurs « orages », s’enchaînant au cours de l’été 1968 : la réception d’Humanae Vitae, la nomination contestée du nouvel évêque, Mgr Pierre Mamie, la réunion des prêtres contestataires à Coire. Le séminaire de Fribourg est un laboratoire de la contestation dans l’Église. Quant au clergé, des affaires où le social et le politique se retrouvent imbriqués ont des prêtres par protagonistes : l’affaire des « capucins rouges » de Romont ou l’acte des 32 ministres refusant l’armée. Entre 1968 et 1978, 140 prêtres catholiques quittent le sacerdoce. Mais à partir de 1975, la vague progressiste des années 1960– qui a touché davantage les cantons mixtes de Vaud et Genève que les « terres de chrétienté » – reflue sensiblement.
Cette étude élabore une cartographie de la contestation catholique politique et religieuse en Italie dans les années 1960 et 1970. Elle propose une périodisation de la dissidence catholique, un panorama à la fois topographique et culturel des mouvements chrétiens de gauche et un aperçu des rapports internationaux tissés par les différents groupes en présence. Certaines considérations permettent une comparaison entre la contestation catholique propre à l’Italie et les expériences accomplies dans d’autres pays, ce qui conduit à esquisser, en conclusion, une contribution à l’élaboration d’une histoire globale du progressisme catholique.
Est analysé dans cet article le rapport des « catholiques de gauche » à leur Église, en France, entre 1962 et 1978. L’appartenance de la plupart de ces militants à la petite bourgeoisie nouvelle ou à la « petite bourgeoisie intellectuelle » fournit le point de départ de l’interprétation. Après avoir expliqué les raisons de parler de classes sociales dans un tel sujet, et décrit les pratiques de ces catholiques, on compare ces militants avec des catholiques ancrés dans le mouvement ouvrier traditionnel, qui manifestent un rapport très différent au catholicisme. L’article conclut par des réflexions sur le cadre d’analyse sociologique d’un objet devenu historique, mais aussi sur ce qu’il permet de comprendre à l’actualité du catholicisme en France.
En France, au lendemain de la guerre d’Algérie et après le concile Vatican II, les catholiques de gauche ont tenu une place longtemps sous-estimée dans la recomposition de la gauche française qui a conduit à la victoire de François Mitterrand aux élections de 1981. Il a existé aussi un gauchisme chrétien qui a participé au « moment 68 » de la société française. Dans un cadre marqué par le conflit entre la génération issue de la Résistance et celle qui a grandi au temps des Trente Glorieuses, les catholiques de gauche et d’extrême gauche ont alors participé à la recomposition de l’espace politique et à la redéfinition du système de valeurs de la République laïque.
Ancien responsable national de la JEC, Robert Chapuis a vécu les crises des mouvements d’Action catholique au moment de la guerre d’Algérie. Engagé aux côtés de Michel Rocard au PSU, puis au Parti socialiste, il s’est inscrit dans les orientations du socialisme autogestionnaire et de la « deuxième gauche ». Dans le mouvement de Mai 68, son engagement a été nourri par le dialogue avec des jésuites et des dominicains pour faire le lien entre valeurs humaines et valeurs chrétiennes. Si être socialiste et chrétien reste un défi, il peut être tenu, dans une exigence de laïcité, grâce aux avancées de Vatican II.
Ce texte expose, à partir du témoignage d’un ancien secrétaire national de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC), les effets de la crise qu’a connu ce mouvement à la suite des décisions de l’épiscopat en 1965, et la nouvelle orientation que celui-ci a prise à partir de décembre 1967 avec l’arrivée d’une équipe nationale qui renouait avec les convictions et les projets de celle qui fut « démissionnée » en 1965.
Ce texte essaie de montrer que la gauche catholique en Europe de l’Ouest, dans les années 1960 et 1970, a moins une existence structurelle que des manifestations ponctuelles, et que celles-ci sont surtout l’expression d’une solidarité avec les victimes de la « répression » ecclésiastique. Profondément désaccordée et fragmentée, tant dans ses objectifs que dans ses analyses, cette gauche catholique n’existe véritablement, en définitive, que dans le miroir que lui tendent les militants et théologiens latino-américains formés dans les universités européennes.
Cette conclusion alternative examine brièvement les principaux aspects des quatre piliers constitutifs de la gauche catholique européenne des années 1960 et 1970. Sont donc envisagés divers groupes influents qui se distribuent, pour l’essentiel, dans les catégories suivantes : ouvriers catholiques, étudiants catholiques, communautés de base, prêtres contestataires. Cet examen conduit à suggérer que, en dépit de leur diversité idéologique et du caractère éphémère de leurs échanges internationaux, ces différentes composantes de la gauche catholique européenne ont eu une réelle dimension continentale. La faiblesse des liens organisationnels ne saurait masquer en effet l’importance d’un esprit commun, assurément efficient.