Depuis ce 18 juin 1940 où le « gaulllisme » a surgi « hors de toute procédure », il aura occupé le premier rang de la scène, sans avoir trouvé de définition patentée. Au temps du Général, il a successivement été vu comme un patriotisme militaire pendant la guerre, comme un révisionnisme au temps du RPF avant d’être analysé comme un bonapartisme lorsque, revenu à l’appel des militaires d’Algérie, il inaugure les années d’exercice d’un pouvoir qui, s’opposant à l’Europe supranationale votée sous la IVe République, le fera alors taxer de nationalisme. Georges Pompidou lui-même, tout en se présentant comme le successeur « naturel », ne voyait dans le gaullisme rien de plus qu’une « attitude » qu’il s’apprêtait à enseigner à Jacques Chirac lorsque, surpris par la mort, ce dernier décida d’agir à la hussarde, s’imposant en quelques jours à Matignon puis, en quelques mois, à la tête du parti gaulliste. Ce qui redonnait toute sa vraisemblance à la définition par le bonapartisme, mais revenait aussi à négliger que le bonapartisme – le premier comme le second – ayant commencé par le coup d’état et fini par la défaite, était en dernière analyse l’exact contraire du gaullisme qui, depuis le discours de Bayeux, s’était employé à user du prestige acquis lors de la victoire, pour doter la France « d’institutions démocratiques capables de compenser par elles-mêmes les effets de notre perpétuelle effervescence politique ». Définition technique qui ne disait rien, ni des sources idéologiques d’un tel projet, ni des procédures nécessaires pour aboutir à la rédaction d’un texte constitutionnel capable de satisfaire à ces exigences, qui sont celles des temps modernes.
Ainsi s’explique que, même après la réussite d’un retour opéré avec le succès constitutionnel que l’on sait, l’Université républicaine ait continué à rester silencieuse tant sur les précédents idéologiques que sur la philosophie ultime des deux appels – le militaire et le constitutionnel –, qui non seulement avaient fini par rencontrer leur vague d’adhésion profonde, mais qui avaient aussi réussi, avec Georges Pompidou d’abord, avec Jacques Chirac ensuite, à se transformer, voire à se métamorphoser, écrit Pozzi, au point que personne n’évoque plus la « parenthèse » à refermer pour revenir aux us et coutumes d’antan. Tout ceci est connu. Mais ne veut pas dire que l’Université, silencieuse sur les origines, ait abdiqué ou chômé pendant ces longues années où thèses et colloques se sont succédés, accumulant toutes sortes de matériaux – écrits, sonores ou visuels –, tous destinés à nourrir et à approfondir la réflexion, qu’il s’agisse des dictionnaires, où se condensent le dernier état de tous ces savants travaux ou de la recherche prosopographique qui, empruntée à l’Antiquité où les textes sont limités – est une nouvelle méthode d’interrogation des données, par laquelle on espère, au-delà des premières apparences – saisir le mouvement profond d’une société soumise à un influx nouveau, encore difficile à évaluer avec les vieilles clefs idéologiques ou chronologiques. Dans le cas de la France d’aujourd’hui, celles héritées de la Révolution de 1789, toujours enseignée – et cela en dépit du combat de François Furet et de Mona Ozouf – comme une origine absolue, une rupture à valeur pédagogique, en raison de son pouvoir d’annonciation et de prédiction. Ceci dit, tout l’intérêt de l’entreprise « Gaullhore » qui, menée à bien par
Jérome Pozzi est donc le symbole de cette nouvelle génération d’historiens qui, fasciné par la découverte de l’efficience des réseaux, va étudier les mouvements gaullistes des années 1958-1976, non seulement armé d’une immense science factuelle et biographique, mais sans peur de conclure à l’opposé de ce qui a été écrit jusqu’à ce jour, sur le parti d’inconditionnels, surgi de nulle part, incapable d’initiatives et balloté au gré des crises de violence, qui ont été le lot des années 1958-1969. Crise militaire et patriote, consécutive à une politique algérienne évoluant de la « solution la plus française » des années 1958-1960 à l’indépendance de 1962. Car Pozzi rappelle que tous les groupuscules qui, sous la IVe République, avaient continué d’œuvrer pour le retour du Général, pensaient que l’Algérie resterait dans le giron de la France, même si la formule juridique devait évoluer. Dès lors, il n’y a pas à s’étonner de voir que la crise la plus grave de
Dans ces conditions, le grand mérite de l’étude sans a priori de Jérome Pozzi est d’avoir fait comprendre que le succès des mouvements gaullistes a été leur variété, relevant d’une inventivité capable de répondre à l’imprévu, de sorte qu’à côté de la forme traditionnelle du « parti » préparant aux élections, ils surent répondre aux mouvements de rue qui demandaient une action directe, dite « spéciale ». Sans oublier que la forme du parti a toujours été récusée par un de Gaulle qui ne tolérait pas l’existence d’une structure verticale capable de lui faire concurrence. Il fallut donc imaginer des structures ad hoc – Association pour le retour dans la légalité devenue pour le « soutien du général de Gaulle », clubs pour intellectuels (dont le plus brillant sera Nouvelle frontière, animé par Jean Charbonnel et Paul-Marie de
Et ceci nous mène au cœur de la difficulté existentielle du parti gaulliste qui, en ces années d’inauguration, ne pouvait avoir d’autre raison que de soutenir une présidence de la République, dont le pouvoir « séparé » de celui des représentants, était la vraie nouveauté de la Ve République. Ce que Georges Pompidou avait compris depuis l’échec de la Libération, où il avait assisté désespéré à l’immense popularité d’un Général vainqueur, devenu brusquement impuissant devant une Assemblée élue et décidée à reprendre toute l’initiative politique. Mais le Général ne le voit pas ainsi. Il en est si loin, qu’après la révision de 1962 suivie du miraculeux succès aux législatives qui donna une majorité à
En conclusion de cet immense travail, deux questions se posent : celle de l’échec électoral des gaullistes gauche, si appréciés du Général mais obstinément rejetés tant par le corps électoral que par la gauche officielle ; et celle de la « troisième voie » toujours recherchée à travers diverses formes de la « participation ». Mot magique, jamais vraiment défini puisque ni les syndicats ni le patronat ne sont vraiment mûrs et qu’en dernière analyse, le Général ne l’a testée qu’à l’ultime fin de sa vie : avec la réforme universitaire qui, arrivée trop tard, fut votée sans conviction par ses partisans ; et avec une révision régionale que le peuple refusa. En fait cette troisième voie, ce désir de ne pencher ni trop à droite ni trop à gauche devait venir, mais du côté où personne ne l’attendait. À savoir le Conseil constitutionnel qui, sous la présidence de Gaston Palewski, compagnon depuis 1936, allait censurer en 1971, la loi anticasseur et, au nom des principes fondamentaux de la République, rappeler que depuis 1905, le droit de s’associer avait été proclamé antérieur aux droits de sauvegarde de l’État. C’était le début d’une grande aventure, le retour inattendu d’une Justice constitutionnelle chargée de la sauvegarde des équilibres fondamentaux de