Jean Garrigues présente, dans son dernier ouvrage, une analyse du pouvoir politique au cours des deux derniers siècles, axée sur les aspects sensitifs et psychiques de la relation entre le sujet-citoyen et une catégorie particulière de dirigeants « les hommes providentiels ». Inscrit dans une démarche marquée notamment par les travaux de Raoul Girardet, de Michel Winock, de Didier Fischer et de Jacques Julliard, son livre ne se présente pas comme une synthèse des précédents mais comme une « brève histoire subjective de
Pour percer les mystères du charisme et de la confiance, l’auteur a pu créer un compendium de sources pertinentes, certaines officielles commodément accessibles (archives du ministère de l’Intérieur et des services de police, archives des chefs d’État, des fondations, etc.) mais insuffisantes pour parvenir à « identifier les invariants et les évolutions d’une représentation messianique commune à tous ces personnages de notre histoire républicaine » ; les publications d’opinion (de
Pour définir l’homme providentiel et observer les facteurs et les étapes de la fascination, le protocole de recherche de l’auteur repose sur l’étude de plus d’une vingtaine de figures (toutes masculines) qui à un moment – de durée variable – ont pu apparaître comme providentielles. Certaines ne résistant pas à l’examen, pour n’avoir pas su ou voulu endosser ce costume : c’est le cas de Françoise de Wendel, d’Henri de Kerillis, de François Coty, du colonel de
La diversité des hommes providentiels, celle de leurs origines, de leurs caractères, de leurs parcours, des contextes et conditions de leurs émergences rend inadéquate toute étude prosopographique et sérielle.
La première partie, « L’espérance », fixe les sujets de « l’espérance collective », avec le souci d’en établir une chronologie. Il distingue quatre moments au cours des deux siècles étudiés : d’abord le temps des César (Bonaparte, Lamartine, Napoléon III), puis sous la IIIe République, le temps des Périclès (Gambetta, Thiers, le général Boulanger, Clemenceau..), après 1919, le temps des Cincinnatus (Poincaré, Pétain, Tardieu, Doumergue, Daladier…) ou « la valse des sauveurs » dont, in fine, seul subsiste Pétain et, après 1939, le temps des Solon (Mandel, de Gaulle, Pinay, Mendès France, Poujade). On apprécie ces références à l’Antiquité gréco-romaine qui témoigne d’une maîtrise de la longue durée. Toutefois, l’auteur constate lui-même que cette classification perturbe sa démonstration : Lamartine se voyait plus en Solon qu’en César et Thiers plus en Cincinnatus qu’en Périclès.
À la diversité des espérances, la deuxième partie intitulée « Le recours », oppose une certaine homogénéité du processus d’émergence. Les formes et les instruments de la propagande évoluent peu avant la popularisation du cinéma, de la radio et de la télévision : chansons populaires, tournées en province, distribution d’images et breloques (la pipe de Boulanger, la francisque de Pétain…), campagnes de presse apologétiques ou calomnieuses, dénonciation de complots réels ou supposés. Tout est destiné à faire de l’homme providentiel une sorte de prophète, défenseur direct du peuple contre la trahison des élites, représentant spontané de ceux d’en bas contre ceux que de Gaulle a nommés les « politichiens ».
Ce guide sait prévoir les catastrophes et les annoncer avec effroi et il sait rassembler la nation pour
Parmi les patriotes s’imposent les trois figures des grandes guerres : Gambetta, Clemenceau et de Gaulle qui ne suscitent pourtant pas l’unanimité de l’opinion. Parmi les protecteurs, parfois sauveteurs, Adolphe Thiers, le libérateur du territoire mal aimé par les monarchistes et détesté par les communards rescapés ; Raymond Poincaré « sauveur du franc » qui, malade, se retire en 1929 ; Gaston Doumergue, qui prophétise à la radio ; Antoine Pinay « la chance », « second sauveur du franc ».
Viennent enfin les rénovateurs, dont Pierre Mendès France est l’incarnation la plus aboutie.
Dans la quatrième partie,
Au terme de ce parcours toujours riche et souvent passionnant, le président du Comité d’histoire parlementaire et politique s’interroge, dans un délicieux épilogue, sur les signes de la rémanence de cette fascination française lors des élections présidentielles de 2007 et sur ce que peut avoir à en subir, de nos jours, la démocratie représentative.
Cet ouvrage est bien venu, qui, à travers les types de réponse apportés par notre société aux crises qu’elle a rencontrées, démontre l’utilité de la référence historique.